2021 Chronique V23 – VIVE LA BEAUTÉ
- novembre 04, 2021
- by
- Mathilde Vermer
Je me rappelle, dans sa chambre d’hôpital, quelques jours après son premier AVC, nous avons parlé poésie, une de nos passions communes. C’était bon, dans cette pièce aux murs fatigués, de plonger dans un langage d’images et d’intensité, de retrouver dans notre dialogue son esprit vif et résistant. Au milieu de sa journée ponctuée de soins, entre deux passages d’une infirmière, alors que ma mère consultait un médecin, je lui ai lu des poèmes. Il ne connaissait pas les fragments que je lui lisais, alors il se contentait de hocher la tête et de répéter « Que c’est beau ». Ce jour-là, j’ai appris que la poésie pouvait se faire offrande, consolation, fortifiant.
Ce moment s’inscrivait dans une dynamique entamée quelques années auparavant – et tout le mérite du retournement lui revenait. J’avais longtemps déserté les réunions familiales, fui les vacances dans un clan où je ne trouvais pas ma place. J’étais sauvage, frondeuse et distante, parfois ingrate avec lui – lui qui aimait tant ma mère. Et puis nous avions trouvé notre routine tous les deux, après mon divorce. A cette époque, j’étais blessée, découragée, et sans en avoir l’air, avec simplicité et pudeur, en m’invitant régulièrement à manger dans un restaurant japonais, il créait le contexte pour m’apprivoiser, me réconforter. On adorait les sushis, et le poisson cru semblait avoir ce pouvoir étrange de construire des ponts entre nous, de permettre à la tendresse de se déployer dans tout l’espace.
Je me rappelle quelques mois après sa sortie d’hôpital, pour son anniversaire, je lui ai offert un recueil de Guillevic. Une autre découverte pour lui, cet écrivain breton. J’étais si heureuse de lui faire découvrir mes poètes fétiches, parce que je savais que lui, de toutes les personnes de mon entourage, était le plus réceptif à la beauté. Il avait cette qualité d’ouverture pour se laisser bouleverser, et pour accepter de le montrer. Je me souviens de son coup de fil chaleureux quelques jours après le cadeau : « Tu sais, ton poète breton…. C’est beau ! Je lis des textes à ta mère, le soir. On aime beaucoup ! » Moi ça m’amusait de les imaginer, lovés dans le canapé ou calés contre leurs oreillers, se dire des mots d’amour par poète interposé.
Dernièrement, je sentais qu’il était inquiet. Les questions écologiques, les inégalités sociales, la montée de la violence… Il me demandait ce que je pensais. Je répondais qu’en regardant les choses d’un point de vue cartésien, oui, notre époque est désespérante. Mais, en changeant de lunettes, en admettant que des forces invisibles œuvrent en coulisse, et favorisent les heureux hasards, les solutions imprévues et les héros ordinaires, alors tout est possible. J’énonçais ma foi solide en des lendemains ensoleillés, tout en sachant qu’il ne serait pas convaincu par ma réponse. Comme il appréciait mon enthousiasme candide, il souriait, se remémorait ses propres convictions un peu ternies, et, par réflexe, lançait son mantra personnel : « Vive la vie ». Pour ne pas rester sur une divergence, on causait ensuite cinéma, expos, bouquins. De la beauté, voilà ce qui toujours nous rapprochait.
Jean-Marie, mon beau-père, est parti dimanche dernier. J’étais dans la cuisine, j’ai entendu le volet du salon claquer avec fracas et j’ai su. Il était hospitalisé depuis la veille pour un nouvel AVC et cette fois, son âme n’a pas eu envie de rejouer une scène d’adieux.
Demain, je serai à Paris pour son enterrement, et du mieux que je pourrai, en priant pour que le chagrin n’avale pas ma voix, je lui lirai un dernier poème. J’ai choisi un auteur dont je n’ai pas eu le temps de lui parler, Zéno Bianu, un poète jazz qui dit merveilleusement le vivant, l’amour et l’infini. Et j’espère, au-delà de la cloison de bois, l’entendre s’exclamer, ardent et ému : « Que c’est beau ».
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