2023 / 18 : À LA VIE, À L’AMOUR
- novembre 23, 2023
- by
- Mathilde Vermer
De mon sac de Mary Poppins, fièrement, je sors une bougie, de l’huile à la fleur d’oranger, un spray d’eau florale, un baume hydratant, une mini-enceinte, des biscuits. Amusée par mon cirque, Francine sourit. Avec gaité, je lance : on commence par quoi ? Je te masse les mains ? Elle hoche la tête, dévoile un bras : vas-y !
Je savais qu’un massage lui plairait. Elle a toujours aimé se pomponner, se parfumer, étaler des crèmes sur son corps et son visage. Une lady élégante, raffinée, qui n’a rien perdu de ses habitudes, même à 100 ans.
Je savais que ça me plairait de la masser. Avec minutie, j’ai préparé ces 4 jours à Paris, 4 jours pour être à ses côtés à l’hôpital, 4 jours pour envelopper de chaleur celle que je considère depuis 15 ans comme ma grand-mère.
Avec délicatesse, je soulève son poignet. Tendrement, lentement, j’enduis d’huile végétale sa peau si lisse, ses os si fragiles. J’ai peur de lui faire mal. Je m’applique. Les gestes calment ce chagrin qui pèse sur ma poitrine.
Un samedi, les pompiers ont débarqué en urgence. Détresse respiratoire. L’ambulance l’a déposée à l’hôpital, et depuis, dans ce lieu tristounet, j’ai l’impression qu’elle glisse. Une fatigue globale qui lui fait préférer le lit médicalisé.
Bien sûr, c’est l’ordre des choses. Elle a traversé un siècle, et ses jambes, qui l’ont portée avec fidélité, bientôt ne voudront plus avancer. Il est temps de préparer les adieux.
Dans ma tête, j’ai répété des bouts de discours, des phrases sentimentales dans lesquelles mon émotion s’étrangle. Mais, là, caressant ses doigts, je perçois que le lyrisme est déplacé. Tout se joue dans le silence, dans ce moment suspendu où je la vois sereine et détendue. Les mots ont déjà été dits, reste l’espace de la présence et de la douceur. Être ensemble, dans ce lien où nos cœurs prennnent refuge.
Quand j’ai fini ma mission de masseuse, je propose d’allumer la musique. Quels airs voudrait-elle entendre ? Elle mentionne Piaf, et, padam, la voix d’Edith envahit la chambre. On chante le refrain ensemble, on rit, c’est bon.
Dernièrement, parce que les familles ont secrets et imbroglios, on m’a demandé d’expliquer ce lien qui m’unit à elle. Après tout, Francine n’est pas ma « vraie » grand-mère, elle est « seulement » la cousine de ma grand-mère, Nicole. J’ai trouvé absurde d’avoir à justifier de la proximité qui nous rassemble. Et puis, j’ai pris le temps de réfléchir : pourquoi je ressens tant d’amour pour cette vieille dame ?
La réponse est tombée comme une évidence. Une banalité. Aussi bizarre que cela puisse paraître, au-delà de nos 60 ans d’écart, entre nous il y a une incroyable complicité, une complicité pétillante, naturelle, attentionnée. Régulièrement, on se retrouve, on s’appelle, parce qu’on se comprend. Une compréhension mutuelle, rare et précieuse.
Au fond, n’est-ce pas le graal d’une relation ? Comprendre et se sentir compris ? Personnellement, je recherche cela, cette empathie, cette profondeur, cette authenticité, partout. Et je fréquente la littérature pour qu’elle me donne un vocabulaire pour me comprendre, pour comprendre le monde et la vie, pour être capable ensuite de construire des ponts.
Avec Francine, depuis le premier jour, le courant passe facilement. À ses côtés, je suis libre : j’aime lui raconter mes histoires, j’aime entendre les siennes, j’adore la faire rigoler. C’est ma grand-mère chérie. Oui, même si ce n’est pas tout à fait la vraie.
Évidemment, j’ai conscience que notre relation répare des blessures invisibles qu’il est difficile de décrire. Tout lien d’amour répare. Tout lien d’amour vivifie.
Et là, dans cette atmosphère d’hôpital, tenant sa main, fredonnant l’hymne de la môme Piaf, je comprends que je n’ai rien à craindre d’un proche départ. Tant que je suis vivante, dans le cocon de mon cœur, elle sera au chaud, immortelle.
> Cette chronique fait partie de la série 2023 « de l’invisible ». L’invisible, c’est quoi ? Mystérieux et simple à la fois : je le définirai comme un hasard, un ressenti, un regard vers les étoiles. Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016. Et si vous croyez en la nécessité de faire sa part de colibri, partagez ce texte.
> Besoin de mots doux dans vos oreilles ? Découvrez le pouvoir de la poésie contemporaine à travers des capsules courtes et colorées. Les épisodes du podcast « L’Expérience Poétique » sont disponibles sur les plateformes (spotify, deezer, apple podcast, amazon, youtube, etc). Je lis mes poèmes préférés pour vous offrir un shoot de beauté et d’optimisme : des vitamines qui sauront accompagner vos journées !
> Votre soutien m’est précieux : merci pour les abonnements à ma page, ma newsletter, mon podcast, merci pour vos dons… Toutes les infos, tous les contenus écrits et audio, sont accessibles en ligne.
>>> Pour laisser un commentaire, retrouvez ce texte sur ma page FB.