2023 / 2 : RENCONTRER LA BONTÉ DU MONDE
- janvier 12, 2023
- by
- Mathilde Vermer
De Marseille, le train longe la côte vers l’est. Alors que la mer défile, constante et bleue, on croise des pinèdes, des vignobles, des palmiers. Parfois des rochers. Soudain la terre rouge du massif de l’Esterel. Toujours la vitre est arrosée de soleil, même en ce jour d’hiver, alors que le vent décoiffe mouettes et cimes des arbres.
C’est bon d’être dans ce wagon, devant cette fenêtre, dans cette région qui offre des visages nouveaux tous les 15 kilomètres. Une escapade impromptue, qui réveille instantanément l’appel du large et le plaisir de bourlinguer.
Remonte un vieux souvenir. Janvier 2005. Je suis au Vietnam. Un de mes premiers périples en solo. J’ai passé trois jours à Saigon, dans le vrombissement des mobylettes. Et ce matin, je suis montée dans un bus vers le sud, vers le delta du Mékong, avec son univers entre terre et mer, ses marchés flottants, et le fantôme de Marguerite Duras. J’ai refusé de rejoindre un tour pour touristes, sûre de pouvoir me débrouiller librement. A la gare routière, j’ai attrapé un véhicule local, montrant une ville sur la carte comme point de chute. Le chauffeur a hoché la tête.
Au bout de quelques heures, à un croisement, il m’appelle. Destination atteinte. Je ramasse mon gros sac et je sors. Le carrefour est gris, poussiéreux, assourdissant. Un endroit à fuir, comme tous les carrefours. Mais je ne réussis pas à décrypter les panneaux. Par où dois-je avancer ? Évidemment, on est avant les téléphones intelligents, avec réseau, GPS et Google Translate. Un rire nerveux surgit : moi qui ne voulais pas me mêler aux vacanciers pressés, et bien c’est parfait, je suis au milieu de nulle part, complètement perdue. Je feuillette le guide à la recherche d’un plan. Rien sur la bourgade où j’ai atterri.
J’ai à peine le temps de m’inquiéter que j’entends un bruit de moteur se rapprocher. Je lève la tête. Sur une motocyclette fragile est assise une petite dame, cheveux noirs, yeux qui brillent. Timidement, elle me sourit puis me parle. Je ne comprends rien jusqu’au moment où je capte un mot. Lost. C’est bien ça, j’ai joué l’aventurière et je suis égarée. Elle sourit encore, amusée, puis m’invite à grimper derrière elle. La taille de mon paquetage me fait hésiter. Elle ne va pas pouvoir démarrer sa bécane avec moi et mon énorme baluchon, rempli de bouquins et de fringues. Elle sent mon tiraillement, m’invite à nouveau à monter. Don’t worry, elle dit. Alors j’arrête le worry et j’obéis. Après tout, ce n’est pas comme si j’avais un plan B.
L’engin décolle. On plonge dans une rue, une autre, elle conduit concentrée et tranquille. Où on va, je n’en sais rien. Où on va, je le constate en arrivant. Un hôtel en cours de construction, qui a déjà quelques chambres disponibles. Impeccable. Je descends péniblement de la machine, embarrassée par ma carapace de tortue.
Je remercie la dame pour ce sauvetage inespéré. Elle sourit et demande : boat tomorrow ? Ensuite, sans trop savoir comment on se dépatouille pour communiquer, elle me fixe rendez-vous à l’aube. Les marchés flottants se méritent.
De cette journée du lendemain, je garde un souvenir indélébile. Au-delà de la lumière de l’aurore qui fait danser les reflets, au-delà de la beauté des voies d’eau, avec une végétation fascinante, des ponts en bois, des pagodes, au-delà des couleurs des bateaux et de leur cargaison, il y a la rencontre avec cette femme. Nous n’avons eu aucune grande conversation. Mais il y a eu des regards, une complicité, une générosité qui s’est traduite dans des gestes attentifs. Je me rappelle qu’après la balade, elle m’a invitée chez elle. J’ai joué avec son bébé, j’ai bu le thé. C’était doux et chaleureux.
Sur les routes du monde, à plusieurs reprises, j’ai refait cette expérience : être accueillie et chouchoutée par des inconnus. En Inde, au Mali, au Sri Lanka, en Cisjordanie, en Argentine, au Cambodge, en Italie, sur le chemin de Compostelle : on m’a tendu la main, on m’a proposé un sourire, une parole, quelques heures fantastiques.
Alors quand le blues me prend, quand je tourne en rond dans une rumination sur la brutalité de notre époque, je reviens à ces souvenirs, à cette aventure merveilleuse dans le delta du Mékong. La bonté du monde, je la connais. J’en ai été témoin. Je sais que le cœur humain est vaste et que l’amour adore circuler entre les êtres que rien ne prédestinait à se croiser.
Et quand mes cellules ont besoin d’une dose supplémentaire de joie, je jette dans une valisette 3 t-shirts, 2 recueils de poésie, du dentifrice, du savon et du rouge à lèvres, puis je me débrouille pour partir dans un lieu où je vais avoir l’occasion de me perdre. Juste pour découvrir qui l’invisible placera sur ma trajectoire. Juste pour vérifier que je peux avoir confiance : le meilleur est toujours prêt à débouler.
> Cette chronique fait partie de la série 2023 « de l’invisible ». L’invisible, c’est quoi ? Mystérieux et simple à la fois : je le définirai comme un hasard, un ressenti, un regard vers les étoiles. Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, des idées lecture, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016. Et si vous croyez en la nécessité de faire sa part de colibri, partagez ce texte.
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