Nous étions ses gamines. Après la fac, tous les jours, elle se dépêchait pour récupérer Sophie, 6 ans, et moi, 8 ans, nous aider dans nos devoirs, nous laver, nous nourrir. Un job d’étudiante pour elle, Graciete, 18 ans, qui était bien plus qu’un job. Ses gamines comme elle aimait les appeler, elle en prenait sacrément soin, avec une vigilance teintée d’une immense tendresse.

Pendant quatre ans, pour nous les petites, elle était notre héroïne. Drôle, belle, intelligente. Elle mettait du soleil dans un quotidien corseté, une fantaisie bienvenue alors que nous étions si sages, si obéissantes, si respectueuses des règles imposées par les adultes.

Un jour, la vie l’a appelée ailleurs. Normal. Un vrai boulot, un avenir à construire, une liberté à conquérir. Normal mais tellement douloureux, cet arrachement. Je me rappelle avoir pleuré des jours au moment de son départ.

Trente années se sont écoulées. Par la magie des réseaux sociaux, le contact se renoue. Et me voilà à Porto, où elle habite désormais avec ses filles. Un dîner est organisé. Sur le chemin des retrouvailles, mon cœur se met à battre à mille à l’heure. C’est fou : ma mémoire a effacé la plupart des souvenirs d’enfance, mais mon cœur, lui, n’a rien oublié de l’amour éprouvé pour Graciete. Quand je la vois, je sens une vague de joie m’envahir. Je l’attrape dans mes bras, je la serre fort. Elle rit, et dans ce rire je retrouve toute sa gaieté, toute sa vivacité, tout le bonheur que je ressentais en sa compagnie.

On a passé la soirée à se tenir la main et à sécher les larmes qui roulaient sur nos joues. C’est tellement beau de retrouver quelqu’un qu’on pensait avoir perdu à jamais. Et c’est tellement bon de se rendre compte que la connexion existe toujours, avec le plaisir de discuter maintenant d’adulte à adulte, évoquer nos métiers, nos familles, nos passions, nos défis, nos rêves.

Ce soir-là, j’ai eu du mal à m’endormir. Toute cette émotion. Cette chance merveilleuse de pouvoir retisser le lien avec Graciete, de savoir que désormais on ne pourra plus se perdre, que bientôt elle viendra me rendre visite à Marseille.

Et vous, quel amour vous a donné des ailes ?

> Cette chronique fait partie de la série 2024 « Transformation ». Une série sur le changement, vécu non comme un fardeau, une épreuve subie, mais comme un appel intime, comme une voie vers une vie pleine. Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016.