Les textes sacrés, les contes populaires, les récits qui irriguent théâtre, littérature et cinéma, s’accordent sur un point : les êtres humains sont capables de survivre au pire. Après la tragédie, pour les rescapés, malgré les larmes, la vie continue.

En revanche, pour écrire l’histoire, pour éclairer ses ressorts sinueux, la personne qui tient le stylo doit essorer ses larmes. La semaine dernière en résidence, par la voix, le mouvement, la performance, j’ai essoré mes larmes. Un petit paquet échappé d’une lointaine mer salée, joliment ficelé, sagement caché, qui demandait à s’exprimer et s’évacuer pour que je puisse boucler le livre qui veut naitre sous ma plume.

Avec l’émotion, il faut trouver la bonne distance : ne pas l’étouffer, ne pas la nier, sans pour autant la laisser prendre ses aises, devenir envahissante. Question d’équilibre. Pour créer, ainsi, la première étape est de nettoyer la maison intérieure. Déloger la poussière coincée au fond de la gorge, bloquée entre tripes et boyaux, stockée dans un coin du cœur. La rassembler en tas pelucheux – et décider le sort qu’on lui préfère : la conserver dans un récipient ? la jeter ? l’utiliser pour une tâche particulière ? La création est ce processus de transformation, qui ouvre des espaces de liberté et de paix, là où on ne voyait que de la fatalité.

À vrai dire, ce processus n’est pas réservé aux artistes. Il me semble que la transformation – du plomb en or, du drame en force de vie – est au centre de l’expérience humaine. À chaque fois qu’on réussit à desserrer l’étau de la douleur, s’extirper de la léthargie cotonneuse, tirer une ressource d’une souffrance, on progresse à pas de géant vers le rêve qui nous fait respirer, on se donne l’occasion de tisser des relations plus riches, on s’autorise à jouer un rôle plus significatif dans le collectif.

J’irai même plus loin dans l’analyse. Une personne qui récupère de la vitalité, de la clarté, de la créativité, devient une personne anticonformiste. A l’heure de l’hypnose généralisée, où le travail, la consommation, le divertissement bouchent l’horizon, retrouver de la conscience sur ce qui nous habite, faire en sorte de ne pas en rester prisonnier, reconquérir une latitude de choix et d’action – voilà qui détonne.

Quand on se remet en contact avec le mouvement, la joie, la confiance, on se rappelle que la vie ne se résume jamais à un boulot, des factures à payer, une position sociale à conquérir. On se souvient que l’aventure est beaucoup plus trépidante, que le monde est beaucoup passionnant que celui dépeint dans le discours ordinaire.

Au final, se dégager de la tragédie permet d’ébranler les mécanismes incorporés de l’obéissance – oser une émancipation poétique, baliser une trajectoire plus lumineuse. Un axe de résistance, pacifique, puissant, qui guide ma voie.

Et vous : comment vont vos larmes ?

> Cette chronique fait partie de la série 2025, nommée « Accalmie ». Une série pour explorer les voies vers la paix, pour oser l’apaisement, la réconciliation, la détente, l’embellie, la main tendue…  Vous aimez ce que je publie ? RDV sur les réseaux sociaux pour retrouver de la poésie, et les autres chroniques que j’écris depuis 2016.