NOUS RÉINVENTER – PISTE 24 : PHILOSOPHER AVEC UN CONTE
- août 18, 2016
- by
- Mathilde Vermer
Au temps d’il y a si longtemps, juste après la création de la terre, du vent, des océans et du feu, il se produit une étincelle qui permit l’apparition de la vie, et plus précisément de l’homme. L’homme qui, au début, était seul, vint bientôt trouver le créateur pour se plaindre de sa solitude et pour réclamer de la compagnie. C’est ainsi que le créateur eut l’idée de prendre la côte de l’homme pour créer la femme. L’homme et la femme devinrent immédiatement des compagnons inséparables, et le créateur, là-haut, perché sur un nuage, prit l’habitude de venir discrètement les observer car il trouvait leurs jeux extrêmement amusants.
Comme ce spectacle le réjouissait chaque jour davantage, il se dit qu’il faudrait créer plus d’humains. Oui, mais comment faire ? S’il prenait à nouveau une côte à l’homme, ce dernier serait en danger de mort. Non, il ne pouvait créer d’autres êtres humains à partir de ceux déjà existants. Le créateur se mit alors à réfléchir. Pendant des jours et des nuits, il réfléchit, réfléchit, réfléchit. Soudain, il eut une vision. Il fallait planter des graines d’humains dans le corps d’autres humains, déjà adultes. Là, dans un environnement protégé, la graine se mettrait à germer en développant toutes les qualités qui font qu’un humain est humain. Puis, au bout de quelques mois, un petit être humain, qu’on appellerait par la suite « bébé », naîtrait. La naissance serait le début de l’existence de l’être humain, le bébé étant destiné à grandir pour devenir adulte. Le créateur se dit que ce serait un spectacle passionnant que de regarder ces bébés pousser et apprendre le monde par mille expériences. Il se félicita d’avoir conçu une si riche idée.
Il restait cependant un problème : où planter ces graines de bébés ? Il fallait un terreau propice à l’éclosion de toutes les promesses contenues dans chaque nouvelle vie. Le créateur contempla l’homme et la femme. Il remarqua que l’homme était fort, doté d’une énergie sans limites qui le conduisait à une agitation permanente. Par exemple, l’homme avait pris cette habitude étrange de chasser les bisons et de cultiver la terre. La femme, elle, avait instinctivement d’autres centres d’intérêt : elle aimait se promener, jardiner, chanter. Elle était plus douce et plus calme. Tirant immédiatement des conclusions de cet examen, le créateur décida que la femme (et plus tard les femmes) porterait les bébés tandis que les hommes seraient chargés de les protéger et de les nourrir.
Une fois ce choix fait, le créateur se demanda où placer la graine dans le corps de la femme. Après quelques hésitations, ayant pour souci majeur de bien protéger le bébé des agressions extérieures avant la naissance, le créateur pensa que le meilleur endroit pour planter la graine était le sommet du crâne de la femme. Fatigué par cette longue réflexion, ayant besoin d’action, le créateur s’exécuta et planta la première graine sur le sommet du crâne de la femme.
Le temps passa.
Au bout de quelques siècles, émergea une civilisation d’humains portés en gestation sur la tête des femmes. Or, cette civilisation présentait des caractéristiques désastreuses. En effet, les bébés qui s’étaient développés en hauteur traitaient toujours, en grandissant, autrui avec morgue. De cette expérience de hauteur, ils avaient conservé un complexe de supériorité qui les poussait à se croire toujours les meilleurs et à considérer les autres comme plus bas et plus méprisables. Cette civilisation engendra l’esprit de compétition, la haine, et la guerre.
Le créateur devant ce tableau calamiteux se rendit compte qu’il avait commis une erreur. L’erreur découlait d’avoir mal placé la graine dans le corps de la femme. Alors, faisant usage de tous ses pouvoirs, il effaça cette première expérience. Retour aux origines, quand il n’y avait qu’un homme et une femme. Cette fois-ci, gardant le même souci de protéger au mieux la graine, il plaça la graine au plus profond de la tête de la femme. Là, l’enfant à venir serait à l’abri sans se rendre compte qu’il était en hauteur.
Le temps passa.
Au bout de quelques siècles, émergea une civilisation d’humains portés en gestation dans la tête des femmes. Or, cette civilisation présentait elle aussi des caractéristiques désastreuses. En effet, les bébés qui s’étaient développés dans les cerveaux étaient des êtres trop intelligents. Ils n’étaient passionnés que de philosophie et passaient des heures à discourir de concepts compliqués dans un langage encore plus compliqué. Les humains aimaient tant débattre qu’arriva un moment où plus personne n’accepta de se livrer d’autres activités. La civilisation d’elle-même périclita : les humains ont besoin de manger pour vivre, alors, comme tous refusaient de travailler, ils finirent par mourir de faim.
Le créateur, effondré par ce second échec, se dit qu’il n’était pas si facile de créer des humains mais il excluait la possibilité de renoncer. À nouveau, il comprit que l’erreur venait d’avoir mal placé la graine dans le corps de la femme. Faisant usage de tous ses pouvoirs, il effaça cette seconde expérience. Retour aux origines, quand il n’y avait qu’un homme et une femme. Cette fois-ci, il plaça la graine au plus profond de la cuisse de la femme. Les bébés, dans cet endroit, seraient protégés, et en même temps la proximité avec les muscles leur permettrait de développer un autre rapport au travail physique.
Le temps passa.
Au bout de quelques siècles, émergea une civilisation d’humains portés en gestation dans la cuisse des femmes. Cette civilisation était bien meilleure que les deux précédentes. En effet, les enfants qui avaient grandi au contact des muscles admiraient le travail physique et n’étaient rebutés par aucune tâche d’envergure. Les humains étaient sportifs, vigoureux, laborieux, ils construisaient d’énormes bâtiments, ainsi que des jardins merveilleux. De leur travail, de leur transformation intensive de la matière et de la Nature, naquit un monde qui était beau. Le créateur était satisfait.
Cependant, après plusieurs autres siècles, il en vient à remarquer que les humains étaient tristes. Comme ceux-ci n’étaient pas du tout par le cerveau au cours de la germination de la graine, ils n’avaient pas développé leur intelligence. Du coup, le langage n’existait pas et les humains avaient beaucoup de mal à communiquer les uns avec les autres, ce qui les rendait atrocement tristes. Une épidémie de suicide frappa cette civilisation.
Le créateur était bouleversé. Il comprit que l’erreur venait d’avoir mal placé la graine dans le corps de la femme. Avant de tenter une nouvelle expérience, qui devait absolument être la dernière, se rendant compte que ses forces diminuaient et qu’il ne pourrait continuer indéfiniment à mobiliser ses pouvoirs pour effacer ses erreurs, il prit le temps de réfléchir. Après une longue méditation, il décida de garder les bébés au plus profond du corps des femmes, pour qu’ils soient protégés et qu’ils continuent à travailler pour assurer leur survie, mais un peu plus haut, dans le ventre pour que les graines soient aussi près du cœur, organe noble qui renferme la compassion, la générosité et le courage. Par ailleurs, tirant les leçons de ce qui venait d’advenir, il décida de faire cadeau aux humains de l’intelligence pour qu’ils puissent communiquer entre eux et s’entraider.
C’est dans cette civilisation que nous vivons encore aujourd’hui. Oui, me direz-vous, cette civilisation n’est pas parfaite. Contrairement aux vœux du créateur, une civilisation d’amour, qui aurait dû émerger de la gestation des bébés à proximité du cœur, ne s’est pas encore réalisée. Pourquoi me demanderez-vous sans doute ? Et bien, parce que les passages successifs sur la tête, dans la tête, puis dans la cuisse des femmes ont laissé des marques. Les humains n’ont pas encore complètement pris conscience qu’ils étaient les bébés du cœur. Mais le créateur, cette fois-ci, a confiance. Un jour, c’est sûr, les humains comprendront ce que cela signifie de naître du ventre des femmes.
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