NOUS RÉINVENTER – PISTE 28 : REGARDER SON PASSÉ, AVOUER SA PEUR
- septembre 16, 2016
- by
- Mathilde Vermer
Tout a commencé en septembre 2013. Une série de coïncidences, comme quelqu’un qui appuie sur votre sonnette à 5 heures du matin, puis se met à tambouriner sauvagement et menace de réveiller les voisins si vous n’ouvrez pas. Les messages qui insistent savent capter l’attention.
Il a fallu entendre, revenir sur le lieu de la douleur, une tombe dans un cimetière parisien, des inscriptions qui nommaient le secret – sans révéler pour autant les détails. Gouffre et vertige.
Après cela, s’est ouvert une phase de lecture boulimique. Chercher à en savoir plus, interroger les livres, traquer l’information qui me parlerait d’elle, de cette femme qui a été obligée de se taire pour survivre. Les ouvrages d’historiens m’ont permis de mieux cerner le contexte, de mesurer les enjeux de cette France de 1942. Mais cela restait trop vague, trop général. C’est d’elle dont je voulais des nouvelles.
Ensuite est venue une phase étourdissante : se rendre dans les archives, consulter des dossiers, parler à des spécialistes. Paris, Drancy, Caen, et puis ce voyage, seule, là-bas, en Pologne, un jour de janvier, un jour de grand chagrin.
Au cours de cette quête / enquête, dans ma besace, patiemment, j’ai rassemblé les pièces du puzzle et j’ai répertorié les pièces manquantes. J’ai compris qu’il y a des questions qui jamais ne trouvent réponse. C’est tant mieux, au fond. C’est dans cet espace que naît la possibilité de prendre la plume.
Alors, action, plume prise, quelques mots sur une feuille et là, effroi. La voix de mon personnage, dont le prénom s’est immédiatement imposé, Alex, la voix d’Alex donc, m’a fait peur. Une voix contemporaine, sexuelle, énervée, insoumise, virulente. J’ai lâché le papier. J’ai laissé cette jeune femme se calmer. Quatre mois de silence. Puis j’ai repris mes notes, j’ai posé d’autres mots. Alma est entrée sur scène, réservée et déterminée à fois, perdue derrière des barbelés, assignée à une place de victime, parce que née en 1922, parce que née avec cette identité condamnée.
Au cours des mois qui ont suivi, j’ai vu apparaître de multiples fils entre la destinée d’Alma et celle d’Alex. Plusieurs fois, j’ai eu besoin de prendre le large. Trop intime, trop dérangeant ce récit, trop bouleversant les échos souterrains entre ces deux femmes.
On en arrive à aujourd’hui. Maintenant. Trois ans se sont écoulés. Trois ans que j’avance, je recule, j’hésite, je fuis, je me trouve des excuses, je fais autre chose, je remplis les heures pour expliquer que vraiment, c’est compliqué d’écrire ce second roman, que le temps me manque, je voudrais bien mais…
La vérité, c’est que, depuis trois ans, je travaille en luttant contre cette frousse. Je continue à marcher sur la pointe des pieds dans ce dialogue entre Alex et Alma. Le problème, c’est qu’à nouveau quelqu’un sonne désespérément à ma porte. Il y a nécessité de terminer ce livre. Il y a quelque chose en moi qui pourrit parce que ce roman, je ne le finis pas. Il y a du chaos qui surgit de cette responsabilité que je n’assume pas. Les livres débutés n’acceptent pas qu’on les enterre en catimini.
Car ce n’est pas à moi, l’auteure, de juger si mes personnages ont le droit de s’exprimer comme cela, ou d’agir comme ceci. Moi, je dois juste les laisser me traverser. Vous comprenez ?
Mais je suis longue et sinueuse… Je ne sais même plus pourquoi je vous raconte tout cela. Enfin, si, je sais. Je voulais vous raconter cela pour vous expliquer comment je travaille mon écriture. Et aussi comment mon écriture me travaille. Je voulais également vous dire, à vous qui me lisez, qu’hier matin, enfin, j’ai décidé d’être plus sérieuse. Je me donne trois mois pour finir. Et je vous prends à témoin dans cet engagement. Vous acceptez cette mission que je vous donne : me demander où j’en suis dans trois mois ?
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