Chronique de l’Ailleurs n°3 – LES PROFONDEURS INTIMES, A SURFACE DE PEAU
- février 15, 2017
- by
- Mathilde Vermer
Mon cerveau me fatigue. Il se laisse emporter par le tourbillon des pensées, il dresse à l’infini des listes de choses à faire, il mouline les regrets, les paroles tues, les remarques indigestes. Mon cerveau est complaisant et critique à la fois. Mon cerveau est amer et batailleur. Mon cerveau est inquiet et brouillon. Le pire est que mon cerveau ne sait pas s’arrêter, au point qu’il fabrique de la migraine.
Dans la tradition orientale, pour parler du cerveau, du flux continu qui l’habite, on utilise le mot « mental » ou « esprit ». Ça fait dix ans que je pratique la méditation. J’ai mis des années à faire le lien entre ce bazar dans ma tête et ces termes. Au début, quand j’entendais qu’il fallait remettre du calme à l’intérieur, regarder la machine dans son fonctionnement interne, je tentais de me rappeler les cours de biologie à l’école. J’essayais de visualiser mes organes, le cœur, le foie, les intestins, cherchant désespérément à localiser cet espace de sérénité dont il était question. J’étais perplexe et perdue.
Un jour, à force de persévérer, à force de lire sur la méditation, d’assister à des conférences, de pratiquer sur mon coussin, une lumière s’est allumée. Pour sortir du tumulte, pour me dégager du cercle vicieux de l’angoisse, il suffisait de revenir au corps, aux sensations, au souffle.
C’est devenue une expérience nouvelle, renouvelée, habituelle. Me concentrer sur mes pieds. Dans la rue, en marchant, je cale ma perception dans le contact avec le sol. Les pavés, les aspérités du goudron, le bord des trottoirs. Je place ma tête dans mes chaussures et tout s’apaise. Je reviens dans cet ailleurs immédiatement accessible, cet ailleurs qui est ici, cet ailleurs qui ne connaît pas l’appréhension du futur. Dans le bus, je glisse ma tête dans ma main. Dans le contact avec la barre. Dans la queue, à la caisse du supermarché, je rentre dans mon ventre, je l’observe gonfler et dégonfler, je ressens ce mouvement dans mon thorax avec l’entrée et la sortie de l’air. Une petite minute et déjà l’impatience rend les armes.
Quand je travaille, quand devant mon ordinateur, tout à coup, je vois l’heure et que je panique, je descends le long de mon dos, jusqu’à mes fesses, mes jambes. C’est mon endroit préféré… Sentir le moelleux de la chair, le confort de la chaise de bureau, le rebondi des cuisses. Presque sensuel. Enveloppant en tout cas. Reposant. Déconnectant. Merveilleusement propice au relâchement. Ô comme je savoure d’avoir découvert ces lieux loin de mon intellect… Après tout, qui a dit que l’ailleurs exige un long déplacement ?
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Et vous, quels ailleurs étonnants avez-vous trouvé ? Quelles « stratégies » avez-vous élaboré pour faire la paix avec le bruit de vos méninges, pour canaliser vos neurones ?
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Illustration : une esquisse de DEGAS