Chronique de l’Ailleurs n°44 – TROIS SCÈNES URBAINES
- novembre 30, 2017
- by
- Mathilde Vermer
1/ Celle qui cherche l’absent – New York, 2004
Je le vois partout. Au coin d’une rue, sur un quai de métro, dans les rayons du supermarché. Je crois reconnaître son allure, son visage, ses vêtements. Un instant, l’espoir enflamme mon cœur : c’est lui ! Un sentiment de gratitude, pour ce hasard qui l’a mis sur ma route, jaillit. Et puis, l’instant suivant arrive, l’homme se retourne, se rapproche, parle et je découvre que ce n’est pas celui que j’espère.
Yeux qui piquent, gorge qui se noue.
Comment vivre pleinement puisqu’il est absent ? Comment l’oublier alors que son rire résonne dans ma tête, que je garde en mémoire la douceur de son regard, que mes draps froids soulignent l’ancienne chaleur de ses bras ?
Il me manque.
2/ Celle qui n’éprouve rien – Bruxelles, 2006
Il arrive au café, essoufflé, les joues rouges. Elle l’attend sur une banquette en velours, tonalité bleu nuit, près d’une fenêtre.
– Je suis désolé, j’ai…
Elle l’interrompt du revers de la main :
– T’inquiète, ce n’est pas grave.
Il fronce les sourcils, enlève sa veste, insiste :
– J’aurais voulu appeler mais la batterie de mon téléphone…
Elle se penche, pose une main sur sa poitrine, sourit et répète :
– C’est pas grave, je te dis.
Il plonge ses yeux dans les siens, essaie d’y décrypter le reflet d’une émotion. Fâchée ? Inquiète ? Jalouse ? Il est arrivé avec plus d’une heure de retard, il ne peut croire à son « c’est pas grave » qu’elle balance avec légèreté. Soudain, il comprend et frémit. Elle s’en moque. De son retard et de lui.
3/ Celle qui refuse de jouer le jeu – Jaipur, 2008
– Asseyez-vous, le thé va être servi.
J’hésite, me résigne à l’étrangeté de la situation, m’installe sur le siège qu’il m’a désigné, au fond de la boutique. Son regard me dévisage. Je l’ignore, parcours des yeux les piles de tissus. Il y a des étoffes que j’aimerais déployer. Je n’ose pas bouger, pourtant. S’ensuit un long moment de silence. Nerveusement, je me dandine, tripote ma bague. Deux tasses d’un chaï brûlant, couleur sable, sont apportées. Je m’empare de la mienne, pressée de mettre fin à l’épisode. Mais, lui, prend son temps, sirote, pose les questions habituelles : de quel pays suis-je originaire ? Quelle est ma profession ? Suis-je mariée ?
C’est la plus importante celle-là, celle du statut marital. Ça les intrigue, les Indiens, une jeune femme qui voyage seule. Je réponds brièvement, en évitant les détails. Puis, jugeant que j’ai assez satisfait sa curiosité, je me lève.
– Merci pour le thé.
Il clôt les paupières, tente d’endosser une fois encore le rôle du grand seigneur. Comme si j’étais dupe ! Comme si je n’avais pas compris que sa générosité était pleine d’arrière-pensées. Une vague de colère m’envahit. Je prends mon sac et claque la porte.
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Et vous, quelles scènes urbaines avez-vous envie de faire revivre sur le papier ? Laissez un mot en commentaire.
Photo de Richard Vantielcke (ludimaginary.net) : Diptyque, portraits en interaction (2010)