Chronique vers la publication n°6 – NOTRE-DAME, NOTRE ÉPOQUE
- avril 19, 2019
- by
- Mathilde Vermer
Sur les réseaux sociaux, dans les médias, après l’incendie, se sont multipliées les références à Victor Hugo. Il y avait aussi des extraits de la poésie de Gérard de Nerval, de Louis Aragon et de Jacques Prévert. Ces écrits nous font du bien : ils nous donnent des mots alors qu’on en manque, parce qu’on est tous sous le choc, encore sidérés par les images des flammes.
J’étais heureuse de lire toutes ces références à Victor H, pas tant pour l’histoire d’Esméralda et Quasimodo, que pour ce qu’il représente, lui, en tant qu’écrivain. Victor H, empereur des lettres, qui, par ses oeuvres, par l’émotion qu’elles suscitent, fait bouger les lignes. Je pense notamment à l’impact du roman « Les Misérables », à sa contribution à l’évolution des mentalités, dans un XIXème siècle marqué par une immense pauvreté et des inégalités sociales terriblement violentes. C’est ça être écrivain pour moi. Une vision du monde plus large, plus généreuse, et un talent pour toucher les cœurs.
D’ailleurs, dans les publications des derniers jours, les références aux « Misérables » étaient fréquentes… Formidable en effet de mobiliser des fonds pour reconstruire la cathédrale… Mais quid de la mobilisation en faveur des plus démunis ? Et quid de la mobilisation contre le réchauffement climatique ?
Au-delà des polémiques, prenons de la distance un instant, remettons les choses en perspective. Quand Victor H écrit sur Notre-Dame, l’église est en très mauvais état, faute d’entretien. L’écrivain veut, en racontant une histoire autour d’un lieu si ancien, fédérer ses contemporains autour d’un passé commun, alors que la démocratie est encore fragile.
Aujourd’hui, la cathédrale incendiée, en tant que symbole, vient nous dire autre chose de notre époque et de ses nécessités. Je crois que l’événement s’inscrit dans les récits, livres, films, séries, si nombreux ces dernières années, qui évoquent des catastrophes humaines et écologiques. Je crois que tous ces récits nous appellent à nous transformer en tant qu’humanité. Transformer notre rapport à la Terre, transformer notre rapport au matériel, notre rapport à la solidarité, sortir de nos conceptions usées sur le succès et le pouvoir, sortir de notre appétit de domination et de guerre, pour cheminer enfin vers une conscience plus vaste de notre interdépendance. Et c’est comme si, en brûlant, avec cette symbolique du feu comme purification, la cathédrale elle-même nous invitait à renouveler notre conception de ce qui est sacré, puis à revoir notre façon de traiter le sacré.
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