M’Chroniques n°24 – MOURIR JAMAIS
- décembre 03, 2020
- by
- Mathilde Vermer
Évidemment, il faut partir un jour. Évidemment, à 98 ans, on peut dire que tu as profité de ta vie, mon Pierre. Évidemment, je suis triste. Savoir que viendraient les adieux, le savoir avec la tête, n’empêche pas le chagrin qui pèse là, sur ma poitrine.
Donc tu es parti. Le COVID est responsable de ton départ précipité, et maintenant tu dois me regarder de là-haut, alors que tu retrouves l’amour de ta vie, ta femme, Germaine. Tu hantes mes pensées ces jours-ci, Pierre. Quelle vie tu as vécu ! Je ne me lassais pas de t’entendre me conter tes aventures. Ta mère qui avait perdu un fiancé adoré sur un champ de bataille, en 1916. Ta mère qui se marie avec celui qu’on lui désigne et qui, très vite, se rend compte de l’erreur de casting, elle divorce, elle repart dans sa famille avec toi, bébé, sous le bras. Dans les années 1920, quelle audace… Je me rappelle de ce que tu me disais sur ton éducation, et sur cette famille de bouchers dont tu es issu, dont moi aussi je viens. Tu connaissais tout de notre lignée familiale, tu savais l’importance des racines – un point sur lequel on se retrouvait.
Toi qui étais un cousin lointain de ma grand-mère Nicole, toi qui es apparu tard dans mon existence, tu as été pour moi un troisième grand-père. Un cadeau inattendu. Je ne sais plus comment on s’est rencontré, je ne sais plus comment le lien entre nous s’est tissé. Mais soudain, à plus de 25 ans, alors que j’étais perdue dans ma vie, et si solitaire, voilà que tu trouves ta place dans ma galaxie et moi dans la tienne. On s’appelle souvent, je vais te voir.
Tu me racontes tes péripéties héroïques entre 1942 et 1944, tu évoques ta correspondance avec Germaine, comment tu tombes amoureux d’elle en lisant ses lettres. Tu me racontes des morceaux de votre vie, les enfants, les bonheurs, les épreuves, tu me parles de ton métier, de la thèse d’histoire que tu entreprends au moment de ta retraite, tu me dis ton goût de la photographie, de la lecture, cette passion que tu as pour la modernité, les technologies, les ordinateurs.
Et moi, parce que je connais ta bienveillance, ton ouverture, ta liberté, je te livre mes tracas, mes questions, mes conflits. Je te raconte mes voyages, mes fiertés et mes amours, je te donne mes mots à lire. Tu écoutes, tu me rassures, tu m’encourages, tu fais preuve d’enthousiasme. Notre complicité, emplie d’admiration mutuelle, me réchauffe. Sans le savoir, en me donnant tant d’amour, tu répares de vieilles blessures, tu m’aides à me déployer. Toutes ces années, ce fut tellement bon de mettre ma main dans la tienne, de bénéficier de notre alliance si profonde, qui semblait balayer nos 60 ans d’écart.
Et donc, vendredi dernier, tu es parti. Dans mon esprit, ton départ était prévu pour plus tard. Je pensais que tu serais centenaire. Je te voyais si endurant, si plein d’élan. Depuis vendredi, j’ai ta voix dans mon oreille. Je repense à nos dernières conversations. J’ai des moments de blues. Il va falloir continuer sans toi. Il va falloir que je m’habitue à ton absence, à l’absence d’un grand-père dans mon quotidien. Il va falloir, et je le ferai – en gardant précieusement des traces de toi, ta photo sur mon frigo, l’écho de ton rire par-ci, par-là, et cette boule chaude de sentiments, ce truc qui était là dès le début, ce lien d’amour qui ne s’efface pas, qui a une saveur d’éternité dans mon cœur. Je t’embrasse mon Pierre, merci pour tout, merci pour ta joie, ta confiance, ta force, merci et bonne route de l’autre côté du fleuve…
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