2021 Chronique V13 – VOIR DANS LE NOIR
- mai 20, 2021
- by
- Mathilde Vermer
Le soir tombé, devant les bûches incandescentes qui chauffent nos corps, vient le moment de se préparer. La première étape se veut exercice intime, observer en soi, reconnaître honnêtement les émotions qui font obstacle. Mes peurs apparaissent immédiatement – nombreuses, visqueuses, pesantes. Peur de tomber, peur de me perdre, peur qu’on me fasse du mal. Les déposer par écrit pour les extraire de ma chair, avec la volonté de neutraliser leur influence néfaste. Peur d’être piquée par une araignée, peur d’être mordue par une bête. Griffonner un papier, un autre, encore un. Peur d’avoir froid, d’être mouillée, de sentir l’humidité s’infiltrer jusqu’à l’os. Une série de mots en rouge étalés sur des morceaux blancs. Peur de me sentir impuissante et abandonnée. Peur de la confrontation avec moi-même, plongée dans le noir, isolée. Toutes ces peurs archaïques, réelles ou imaginaires, réveillées par la perspective de ces heures en forêt, de nuit, dans la solitude. Plier les papiers avec leur contenu effrayant, les jeter au feu avec la confiance que les flammes sauront quoi en faire. Admirer la flambée qui mange les phrases notées, s’en remettre à la magie du rituel, empêcher le cerveau de ricaner de cette scène.
Maintenant, il est temps de sortir, se laisser absorber par l’opacité du dehors. S’habiller chaudement, en silence, attraper une lampe de poche, avec le groupe quitter la protection de la salle et du brasier, prendre la direction du bosquet dense et sombre. A un moment, à un endroit, se séparer. Chacune écoute son intuition, chacune emprunte le chemin qui l’appelle.
Je m’étonne de marcher d’un pas vaillant, moi la fille des villes, moi qui d’habitude n’aime pas ce genre d’expérience, moi qui redoutais d’avance ces heures en forêt, de nuit, dans la solitude. Je marche et la lumière me gêne, je voudrais être totalement enveloppée par les ténèbres. Je baisse le faisceau lumineux, juste un filet de clarté pour orienter mes pieds. Je tourne dans ce qui ressemble à une allée étroite, je m’enfonce entre les herbes et les arbres. Tout autour, il y a le bruit des oiseaux, ceux qui repoussent le sommeil, ceux qui peuplent l’espace de leurs chants. Au loin, le battement du tambour, cœur qui pulse, phare qui rassure.
Je marche encore et soudain, je sens que je dois m’arrêter là, sous les branches, m’asseoir sur le sol, sur la terre embuée, entre les fleurs que je devine. J’éteins la lampe, je m’installe, je lève la tête vers le ciel, à la recherche des étoiles. Le temps ne compte plus. Je contemple la voûte céleste jusqu’à éprouver l’envie de fermer les yeux, pour épouser totalement l’obscurité, pour m’abandonner à mes sensations, à mon audition, pour ouvrir quelque chose en moi que je ne connais pas, une partie qui serait capable de dialoguer avec la forêt vivante.
Ma respiration ralentit, comme lorsque je suis en méditation. Le feu a réussi sa mission : je n’ai pas peur. Je respire et je me sens calme, calme comme jamais, baignée dans la confiance que je suis en sécurité, là dans ce bois touffu, par cette nuit fraiche. Retrouver un fil perdu il y a des siècles, quand les humains se sont convaincus que la nature était dangereuse, qu’il fallait la dompter et la dominer. Comprendre dans mes tripes combien cette croyance est fausse. Saisir au plus profond de moi comme la nature est accueillante quand on vient à sa rencontre de façon simple, ouverte, désarmée. Prendre conscience que ce n’est qu’un début, qu’il me faudra poursuivre le dialogue.
M’allonger sur le sol, goûter à ce plaisir tout neuf de reposer en terre – en paix. Mes paupières se font lourdes. A ma grande surprise, je perçois qu’il me serait facile de dormir à cet endroit. Mais au loin, déjà, le tambour bat le rappel. Je n’ai aucune idée de l’heure, aucune idée du temps écoulé. Lentement, à regret, je me lève. Dans un murmure, je salue ce coin qui m’a recueillie, et je pars rejoindre mes sœurs, vers la maison, vers le feu persévérant qui saura réchauffer nos membres engourdis par cette odyssée nocturne. Je souris, fière et légère à la fois – c’était si bon de partir à la rencontre de soi et de la Terre.
Et vous, avez-vous déjà tenté une expérience qui vous confrontait à vos peurs d’enfant ?
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