Chronique de l’Ailleurs n°19 – APPEL AQUATIQUE, POISSONS ET ILLUSIONS
- juin 08, 2017
- by
- Mathilde Vermer
J’avais envie de plus que les parois de l’aquarium. J’avais envie de me prendre pour Cousteau, de partir sur ses traces dans ce monde sous la mer, de découvrir des paysages neufs, des coraux vermillons, une vie qui foisonne, qui détonne, qui file, colorée, pailletée, laquée. Entrer dans la transparence lumineuse, percer le bleu des océans, sentir mon corps se mouvoir autrement, ouvrir les yeux sous le hublot des grosses lunettes et admirer la beauté. Je pensais en avoir très envie.
Ou alors, peut-être, que c’était son envie à lui. Peut-être que je me suis laissée embarquer dans son fantasme de profondeur, de solitude, de silence. L’Australien, qui nous a inscrit pour la sortie du lendemain, a aussi contribué à ce désir impérieux. Il avait l’air si tranquille, si libre, installé sur cette belle plage de Thaïlande, j’aurais fait n’importe quoi pour me débarrasser de mon anxiété habituelle et faire mienne son attitude, son détachement, sa zénitude.
Bref, je me suis retrouvée en combinaison étroite et humide, avec les bouteilles accrochées, greffées à mon dos. Et puis, il a fallu se mettre à l’eau, et enfiler le masque. Sous le masque, déjà, j’ai perçu un truc qui ne tournait pas rond. Un tout petit truc. Le sentiment d’étouffer. Alors, la minute d’après, quand il a été question de mettre la tête sous l’eau, a surgi une tension dans tous mes muscles. Et une alarme dans ma tête s’est déclenchée, une phrase rouge, piment, brûlante, en boucle : ne fais pas ça, cocotte, n’y va pas !
Exactement : ça s’appelle une crise d’angoisse. Oublier sur l’instant Cousteau, l’Australien, le chéri frétillant d’impatience. J’ai arraché le masque, j’ai dit, je peux pas, et je me suis enfuie. Pas glorieux du tout. Mais franchement, quitter l’air pour l’eau et respirer par un tube, c’était au-dessus de mes forces. Trop bizarre. Trop effrayant. Trop pas possible.
J’ai repris mes esprits sur une chaise longue : dans l’aquarium, ou dans une émission télé, on voit très bien le chatoiement des bancs argentés. On peut même prendre le temps d’observer le petit jaune acidulé, avec ses pois verts, et le gros, avec sa tête de monstre et ses zébrures. Puis, j’ai réfléchi. C’était ok de dire non. Ok de déclarer forfait. Il y a des choix pour lesquels j’ai envie de me battre, me dépasser, affronter ma peur. Et d’autres pour lesquels je préfère jeter l’éponge. Sans drame.
Et donc cet été, quand je prendrai quelques jours de congé, je vais emporter ma pile de bouquins et je vais plonger dans une histoire, et une autre, et encore une autre, jusqu’à perdre la notion du temps. Et je serai très heureuse.
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