Chronique de l’Ailleurs n°2 – LE GOÛT DU SILENCE, LE CHOIX DU BRUIT
- février 09, 2017
- by
- Mathilde Vermer
Il pleuvait samedi dernier, ça m’a semblé une bonne idée de me réfugier dans un musée. Une expo de photo. Des clichés blancs, épurés, aux lignes fortes. Trois cent tirages pour révéler la montagne. Plusieurs panneaux larges, des crêtes et de la neige : je suis restée scotchée. L’immensité givrée, les sommets immaculés, j’ai basculé dans l’image. Je suis revenue à ce souvenir de neige, ce jour où j’avais des raquettes à mes pieds.
A chaque pas, cette sensation pesante et délicieuse de m’enfoncer dans la masse cotonneuse. Sentir le poids de mon corps s’enliser. Faire un effort pour m’en extraire, avancer, suivre mes compagnons. Très vite, le paysage dégagé a disparu. La forêt de sapin a accueilli nos empreintes hésitantes. Parmi les arbres, quelque chose a changé. Protégés, enveloppés par la neige, sa couleur laiteuse, sa texture tendre, à l’abri, dans le silence. Il y a du sacré à se balader sur pareil territoire. Plus rien d’extérieur n’existe. On est dans un ailleurs feutré, doux, aux contours irréels. Laisser les autres s’éloigner, s’écarter du chemin délimité, s’aventurer entre les branches.
Très vite, est venue l’envie de s’allonger. Emmitouflée dans la combinaison, oublier le temps, avoir chaud, avoir froid, avoir les yeux qui se ferment, songer à rester sur le sol, à dormir, attendre la nuit tomber, ne pas se relever, glisser jusqu’au gouffre invisible, jusqu’à la crevasse qui avale, ne plus revenir dans le chaos, la lutte, la zone des couleurs trop tranchées. La tentation de la disparition, un jour de neige, parce que la lumière ressemblait au halo que j’imagine de l’autre côté. Finalement, ce n’est pas le passage sur l’autre bord qui est terrifiant. Ce serait même un ailleurs désirable, un appel relayé par des sirènes entêtantes, le confort d’en finir.
Et puis, d’un coup, me secouer, me redresser, retirer les flocons nichés dans mes cheveux. Ça suffit. Ce n’est pas l’heure. Ce n’est pas ça, le courage. Respirer un grand coup. La neige est un refuge passager, pas une destination. Accepter cette peur qui me traverse. La peur de retourner dans le bruit. La peur du lendemain. La peur de poser des actes, échouer, oser quand même. La peur de vivre. Me relever. Frissonner. Repartir dans l’autre sens.
J’ai fait le tour de l’expo. J’ai aimé les glaciers, les alpinistes accrochés à la verticale, les horizons infinis. J’ai aimé les réactions des enfants devant ces visions. J’ai aimé faire partie de cette petite foule qui se presse devant le spectacle de la beauté froide. Et puis, j’ai remarqué que, dehors, la pluie avait cessé. J’ai souri : il était temps de repartir dans la ville.
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