Chronique de Nos Vies n°19 – SOUS D’AUTRES CIEUX
- mai 24, 2018
- by
- Mathilde Vermer
Dans la peinture flamande du XVIIème siècle, ce qui la fascine, c’est la représentation du ciel. Souvent, les artistes accordent toute leur attention aux nuages, les laissant s’étaler copieusement sur la toile : le reste du paysage, les champs, les maisons, les moulins, les bords de mer, les villes, semble comme aplati par la masse cotonneuse, mousseuse, froufrouteuse, cette masse tantôt blanche, tantôt grise, tantôt bleutée, magistralement percée de lumière.
Depuis qu’elle vit à La Haye, Florence comprend cette obsession des peintres pour les cumulus et les nimbus. Il lui arrive de s’arrêter au milieu d’une rue, alors qu’elle pédale à vive allure, pour photographier le ballet moutonneux au-dessus de la cité. La météo change vite, poussée par le vent, et le spectacle ne cesse de se renouveler, d’étonner l’oeil, comme si quelqu’un s’amusait à composer tant de beauté.
Florence est venue aux Pays-Bas, dans le cadre des recherches qu’elle mène. Elle a pris une année pour s’éloigner de la fac où elle enseigne, où elle encadre une équipe universitaire et des étudiants plongés dans la rédaction de thèses, une année pour avancer dans ses propres écrits. Elle a senti qu’elle avait besoin de prendre l’air, s’autoriser de la distance, réfléchir à nouveau à ses envies et au sens de son travail. Ayant développé une expertise, les vingt dernières années, sur les conséquences de la mondialisation, elle a l’impression de buter sur une impasse. Le monde continue sa folle course, les êtres humains, partout sur la planète, sont broyés par les logiques financières, l’écologie reste un discours inaudible pour ceux qui prennent les décisions économiques et politiques… Que faudrait-il pour que la machine infernale change de direction ? Comment imposer des pratiques sociales et environnementales plus respectueuses, alors que la Chine étouffe dans la pollution, que l’Inde manque d’eau, que l’Occident se transforme en cocotte-minute, en raison d’inégalités croissantes ? Quel rôle pour la pensée dans cette configuration, quel rôle pour les sciences sociales ?
Dernièrement, elle a vu les obligations brutales des systèmes de management envahir le domaine académique. Pour publier dans les revues scientifiques, les normes sont devenues étroites, tellement verrouillées qu’il est difficile à un raisonnement original d’y fleurir. Dans les universités, les demandes administratives augmentent, si bien que les enseignants-chercheurs ont beaucoup moins de temps pour leur cœur de métier : analyser le réel et transmettre le fruit de leurs analyses aux étudiants, afin de leur permettre d’agir, à leur tour, en conscience, dans leur contexte professionnel, dans leurs responsabilités citoyennes.
Florence interrompt son récit et l’exposé de ses réflexions, alors qu’un rayon de soleil surgit. Elle revient à l’évocation du ciel, sa poésie, son mouvement, son mystère, et je sens que cette fascination céleste est sa façon de cheminer avec les interrogations qui la taraudent. En regardant là-haut, c’est comme si les brumes intérieures se déplaçaient, trouvaient à danser ensemble autrement, pour qu’enfin la lumière vienne inonder, réchauffer, assécher les marécages boueux et ténébreux. Confiance, tel est le mot d’ordre : bientôt, la route à suivre apparaîtra dans sa clarté simple et ardente.
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