Chronique vers la publication n°9 – APPRENDRE LE MÉTIER
- juin 14, 2019
- by
- Mathilde Vermer
Avant de teindre tout en bleu, de convertir les paysages en cubes, de s’amuser à déformer les visages et les corps, Picasso, fils d’un conservateur de musée, a suivi un enseignement classique. Il a pris des cours de peinture, il a étudié et copié les chefs d’œuvre, il a aiguisé son œil et son pinceau. Son père lui a transmis sa passion, l’a encouragé dans sa vocation et l’a guidé pour le début de son itinéraire. Personne ne trouve bizarre que cet artiste révolutionnaire ait fréquenté écoles et académie des beaux-arts.
Curieusement, en France, un écrivain, lui, ne devrait avoir aucune formation initiale. Ah ce mythe tenace de l’inspiration, dont je vous parlais dans ma précédente chronique… En effet, on peut lire beaucoup, écrire dès l’enfance, suivre même un cursus de lettres – ça ne suffit pas. Besoin de se confronter à la réalité du geste d’écrire – avec ses enjeux, ses doutes, ses vertiges. Besoin d’un regard extérieur, qui endosse une position de lecteur éclairé, capable de poser des questions pertinentes sur le fond et la forme. Besoin aussi d’intégrer des éléments techniques pour enrichir une expérience, pour ouvrir des perspectives.
Dans d’autres pays, notamment côté anglo-saxon, l’approche est pragmatique : on reconnaît les besoins des auteurs débutants. Sont ainsi apparus des ateliers d’écriture, pour stimuler la créativité, et même des filières universitaires où est enseignée la création littéraire. Les étudiants apprennent à affuter leur style, développer un point de vue, s’approprier des structures narratives, bâtir des personnages, donner vie à des histoires.
Quand a surgi en moi l’idée d’un roman, à l’été 2005, j’ai vite mesuré le gouffre qui existait entre mon urgence d’écrire et la réalité de sa mise en pratique. Par où commencer ? Et comment me débrouiller pour que les scènes imaginées dans mon esprit soient cohérentes sur le papier ? Les premiers mois, j’étais inquiète. Tout ce que je produisais me semblait mauvais, ou plutôt dissonant, à mille lieux de ce que j’avais envie de transmettre.
Par hasard, je pousse la porte d’un atelier d’écriture parisien. Soulagement… Enfin un lieu ressource où je déniche des clés pour mettre au monde le récit que je porte. Des ateliers d’écriture, par la suite, j’en ai consommé avec une faim immense. Des centaines d’heures à faire surgir un matériau littéraire, des centaines d’heures pour chercher mes traits, mes couleurs, ma façon de manier une plume. J’étais tellement heureuse en atelier d’écriture que j’ai décidé de me former pour en animer. Propager la joie, et surtout l’élan pour écrire, le goût des histoires, les richesses que nous donne la littérature.
Les dernières années, en outre, j’ai pris beaucoup de plaisir à rencontrer des écrivains, les écouter lors d’un débat, leur poser des questions sur leur routine, leur vision, les thématiques qui les taraudent. Et puis, il y a eu les éditeurs croisés sur le chemin de la publication. Toutes ces rencontres, en plus du parcours en atelier, font le bagage qui est le mien, cette écriture qu’il faut sans cesse interroger, ce regard qui me permet, à mon tour, d’accompagner d’autres personnes qui ressentent cette nécessité d’écrire.
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